Dans le ghetto

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L’autre samedi, début juin, je suis allé voir un show de rap. Là où les Blancs ont peur de s’aventurer. Palettes «drètes», running shoes et rap, la jeunesse des ghettos de Port-au-Prince ressemble beaucoup à la jeunesse de chez nous.

Assis sur le trottoir, petite bouteille de rhum à la main, pendant que le rasta du groupe se roule un pétard. Il est passé 22h. On entend le bruit de la fête qui commence au loin. Un camion blindé de l’ONU avec une douzaine de militaires à son bord passe devant nous, seul véhicule à quatre roues qu’on verra rouler ce soir.

On est à La Saline, entre Cité Soleil et Bel Air. C’est l’un des quartiers les plus pauvres de la ville. Vingt mètres plus loin, le camion s’arrête. Trois militaires en ressortent, mitraillettes en bandoulière, et viennent vers nous. L’un des deux s’adresse directement à moi en anglais.
«Vous faites quoi ici?»
Je prends un verre avec mes amis. Il y a un problème?
L’air démuni, il s’adresse à ce qui semble être l’un de ses supérieurs (qui ne parle peut-être pas anglais). Il se retourne vers moi.
«Non, non, il n’y a pas de problème.»

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Mus par le mythe de la grande violence et des gangs, même plusieurs Haïtiens n’oseraient pas fréquenter cette zone. Les militaires brésiliens semblent déstabilisés. Un Blanc, c’est à La Saline pour de l’humanitaire. Qu’est-ce qu’il peut bien foutre là?
Il y a deux fois moins de meurtres répertoriés en Haïti qu’en République Dominicaine voisine. Sauf qu’en Haïti, c’est un peu comme le Far-West: les institutions sont tellement faibles que la justice et la société sont souvent laissées à elles-mêmes. Les anciens dictateurs et autocrates ne sont pas importunés outre mesure dans ce pays. Ici, à La Saline, on raconte que les gangs criminels paient leurs dividendes directement au poste de police.

La nuit à Port-au-Prince, les étrangers ont peur. Ils ont généralement des couvre-feux et des périmètres bien précis qu’ils ne peuvent dépasser, incluant bien sûr les bars et restos huppés de Pétionville. Et malheureusement, c’est souvent ces mêmes personnes qui prennent des décisions importantes sur l’avenir du pays.

Juste avant de marcher quelques blocs et rejoindre la fête, le jeune Wilson, quatre ans, vient nous voir. Adoptant le langage et l’attitude d’un jeune frondeur, il se prend pour un chef et amuse tout le monde. «Je vais tous vous donner une moto. Pas une petite comme celle-là [il pointe ma 110 cc), un grosse moto. Toi, toi, toi et toi, dit-il en pointant les gens du cercle, vous aurez droit à la vôtre.» À quatre ans, Wilson a bien appris de ses idoles. Quand on est au pouvoir ou lorsqu’on veut calmer les ardeurs de certains quartiers pauvres, on donne des motos ici. Le président actuel, son premier ministre aussi, passent régulièrement dans des bidonvilles comme celui-ci, magnanimes, pour faire des cadeaux.

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À la fête, je suis suivi à la trace par mes amis, membres d’un groupe local de musique, qui saluent plein de gens. Une scène de deux mètres est érigée à un croisement. Le carrefour Fòtouron est rempli à craquer. Le DJ chauffe la foule avec les derniers succès électro-rap. La police locale traverse la foule dans leurs pickups pour montrer leur présence. Le marchand ambulant de bière qui se poste devant nous semble faire des affaires d’or.

Quand le dernier succès de Lil’ Wayne est craché par la douzaine d’hautparleurs alignés et superposés de chaque côté de la scène, la foule est en délire.

C’est à ce moment que Fantom a pris la scène. L’un des plus célèbres rappeurs du pays entonne son grand succès, Men non’m lan, et la foule répète les paroles. Cette chanson est devenu un hymne à la survie dans les ghettos.

La jeunesse haïtienne est beaucoup plus ordinaire qu’il n’y parait dans les médias étrangers. Suffit juste d’aller à sa rencontre.

La plupart des Blancs se cachent dans leurs camions d’ONG avec les meilleures intentions du monde. Mais comment aider un peuple qui nous fait peur?

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Photos et vidéo: Étienne Côté-Paluck