Cette phrase, ce GRAND proverbe, dis-je, devrait être inscrit
derrière chaque boîte de céréales, à côté de l’information
nutritionnelle qui te fait constater que ton apport en fun risque d’être carencé une petite affaire, aujourd’hui.
Que ce garçon qui m’a brisé le cœur avec une fourchette pas propre propre, j’allais l’oublier. Que cet échec professionnel de pigiste qui essaye des affaires, ce 94e moment plate où je me demande à quel moment précis j’ai décidé de finalement pas m’inscrire à l’usine à biscuits soda – être la perceuse de trous; je pense que je serais pas pire. Il seraient toutes ben alignés, vous crériez même pas à ça. Une Chapelle Sixtine dans un petit sachet de plastique individuel, que je vous crafterais, avec la passion de l’artisan à part ça – n’était qu’une occasion de plus de me relever, tel un phœnix qui ressort toujours bien coiffé des situations pas le fun (mon unique référence étant l’ouéseau de Dumbledore et, je crois, le chemisier d’un plaisancier au Festival de Jazz).
Ce genre de journée où le cœur est bleu et où tout semble sentir la vieille cigarette.
Et dans cette infinie quête de donner l’impression qu’on assure grave en tout temps, on s’interdit souvent la petite faiblesse. On dirait qu’on n’a plus le droit de casser. De s’étendre sur l’asphalte jusqu’au prochain couplet. Quoi qu’il advienne, tu te dois d’être Marina Orsini: résiliente et drapée de pashminas lavande qui virevoltent avec grâce en passant devant le ventilateur.
C’est d’ailleurs au moment précis où j’allais monter sur le comptoir à grilled cheese, en pieds de bas et la moitié de face peinturée en bleu, pour revendiquer ce droit d’être la fille qui avait la plus haute teneur en vie de marde dans son sachet de Splenda ce jour-là, que j’ai entendu cette bribette de conversation qui allait me remettre les priorités à la bonne place.
Je déteste me faire dire que quand on se compare, on se console.
« Il te manque une palette? R’gard, la madame. Elle, elle a pus de dents pantoute. Tu devrais te sentir chanceuse d’être encore en mesure d’ouvrir tes canisses de sirop d’érable d’un franc coup de tête avec ta palette de gauche. Croque la vie, ma belle fille. You’re living the dream »
Mais la dame en cache-cœur (parce qu’elle semblait vraiment s’être caché le cœur loin loin sous son twin-set) près de ma table, elle, elle me battait à plates coutures. Vite vite, de même, nul n’aurait su dire. Je la croyais d’abord en plein meeting au sommet avec sa chum de fille, le genre chum un peu autoritaire au hairdo asymétrique, qui monopolise la converse et qui décide toujours du film en version française que vous vous en allez voir au Quartier Latin. Pas besoin d’acheter de réglisse; elle a un ziploc plein de graines de tournesol nature dans sa bourse. Ce genre de chum-là.
C’est toutefois en tendant sournoisement l’oreille que j’ai constaté que la dame au cache-cœur passait plutôt une entrevue. La pire entrevue au monde.
Et la dame au cache-cœur semblait revenir de loin. Sourcils tracés au compas, nouvelle petite coupe à’ mode, nuque dégagée et mèches caramel chunky, elle avait mis le paquet pour que sa vie, ce jour-là, prenne ce grand virage dont elle rêvait depuis longtemps. Ou peut-être n’était-ce qu’une coquette gourmande qui aimait les petites coupes propres et que je lui romançais ça, aussi.NE PERDONS PAS DE VUE QUE J’ÉTAIS EN PEINE. LE CENTRE DU MONDE.
Toujours est-il que le petit ton autoritaire de son interlocutrice s’est frayé un chemin jusqu’à mes écouteurs; ses petits bras potelés fendaient l’air. Ça y allait par-là. Avoir été dans Dangerous Minds, elle aurait clairement été la leader négative de la classe de Michelle Pfeiffer; mais nulle Coffee Crisp ne l’aurait amadouée. Cette employeure du dimanche-là, elle chronomètre ta pause-pinottes, c’est sûr.
La dame au cache-cœur semblait faire dans l’écriture. Dans la traduction. Et elle la voulait, la job. Elle acquiessait aux sparages de sa future boss, terreur dans le regard, même si l’autre était clairement après perdre la carte en déviant constamment sur un terrain human et hors contexte comme « Faut pas se leurrer; on a tous déjà rêvé d’aller dans un pensionnat » ou encore le best-seller « Je suis une personne très intelligente et je veux être la première à le reconnaître. Même si ça fait mal».
Oui. J’ai noté ses phrases.
Trois mots: OUATE THE FUCK. Et j’ajouterais même MAN.
T’es après passer une petite traductrice en entrevue, une madame qui se demande si elle va être capable de nourrir ses chats ce mois-ci et que tu fais pâtir depuis 20 minutes, et tu lui parles de tes feelings de rêves de pensionnat de bonne femme à qui ça fait mal.
Mais c’est pas ça le pire.
Une fois son monologue-vaginette terminé, la future boss est entrée dans le vif du sujet. Et OH! qu’elle avait hâte d’annoncer à la petite dame ce qu’elle allait faire. Ses petits yeux brillaient.
C’est donc après lui avoir fait jurer huit fois qu’elle serait rigoureuse et qu’elle comptait vraiment sur elle pour la délicate tâche qui méritait d’être soulignée par l’écarquillement aérien de ses petits doigts potelés pleins de beurre qu’elle lui annonça le sujet du projet qu’elle devrait traduire:
« Toi, tu vas t’occuper du guide de la collecte d’urine 24 heures »
LE GUIDE DE LA COLLECTE D’URINE. 24 HEURES.
Un sapristi de gros gallon de pisse. J’en entendais les flacottis imaginaires.
Quelqu’un devait traduire le guide pour que c’te belle collecte-là se déroule dans les règles de l’art; et ça s’adonnait que la dame au cache-cœur était la biche à sacrifier.
Une dame qui n’avait pourtant pas l’air d’œuvrer dans le milieu de la santé. Juste une traductrice qui avait pigé le mauvais contrat dans le casse à promesses. Vous auriez dû la voir, assise bien droite, en plein combat avec sa face pour ne pas qu’elle fuie et se garroche par la fenêtre. Commissures tournées vers le ciel, elle restait digne. Et elle allait consacrer le mois qui suivait à indiquer à des gens qu’elle rencontrerait jamais comment collecter la pisse d’autrui by the book. Sans faire de coulisses.
Eh bien chère dame au cache-cœur, je vous feel. Mais surtout, je m’incline.
La vie, c’est pas un party de quinquagénaires sexées qui se pactent la fraise en fumant des Gauloises entsoure de la hotte dans Mémoires vives. Des fois, c’est tough en estifi.
Je vous lève mon bibi, madame. Et je m’en vais ravaler mes petits états d’âme d’échecs de fille pas mal plus chanceuse qu’a’ pense.
La bise.
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