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Tout le monde a refusé d’en parler à visage découvert, sauf Bernard Adamus.
Avant de présenter Le grand retour des annulés aux journalistes, la productrice et animatrice Marie-France Bazzo et le réalisateur Arnaud Bouquet admettent que leur documentaire ne donne pas tant la parole aux principaux intéressés, mais ce n’est pas faute d’avoir essayé. Comme quoi huit ans après les premières annulations liées au mouvement #metoo, le sujet demeure toujours aussi sensible.
Qu’on le veuille ou non, les annulés reprennent quand même part à la vie publique. Il y eut tout d’abord Julien Lacroix et Éric Lapointe, mais c’est maintenant à Maripier Morin de faire couler l’encre depuis quelques semaines, notamment avec son association à la Fondation Douglas pour une campagne de prévention du suicide.
À la lumière du Grand retour des annulés, la plupart des principaux intéressés souhaitent aborder la question le moins possible. C’est donc le pari que s’est donné Marie-France Bazzo : pourquoi pas en parler et ouvrir le dialogue sur un chapitre important de notre histoire culturelle récente pour essayer d’en tirer des apprentissages ?
Parlons tout de suite de l’éléphant dans la pièce : l’entrevue de Bernard Adamus. Non, il ne blâme pas les gestes qu’on lui reproche sur l’alcool et il ne prépare pas de grand retour médiatique. Bien sûr, on est en droit de se demander si sa participation au documentaire n’est pas une mise en scène élaborée visant à restaurer son image publique. Toutefois, le chanteur affirme : « Quand la confiance est brisée, les excuses ne veulent plus rien dire ».
Un autre annulé témoigne à visage couvert, et ce dernier vous donnera pas mal plus d’urticaire qu’Adamus. Accusée de pénétration non consensuelle, cette personnalité mystère a d’abord été annulée en 2020 avant d’être condamnée au criminel en 2023. À ce jour, elle estime ne pas comprendre ce qu’elle a fait de mal et déplore que la répudiation dont elle est victime dans son milieu l’empêche de gagner sa vie. L’admission lui tire éventuellement quelques larmes.
Nonobstant le crime reproché, ça doit quand même être difficile de se faire demander par de vieux chums d’enlever son like sur une publication par peur d’association.
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Qu’est-ce qui différencie les deux hommes ? L’acceptation, je vous dirais. L’acceptation de la situation, de ses torts, et surtout, que la vie ne sera plus jamais comme avant, tant au niveau personnel que professionnel. Si Bernard Adamus fait encore de la musique aujourd’hui, il se produit dans de plus petites salles et à plus grand coût.
Autant l’annulation est un choix à la fois social et corporatif (la perte de contrats avec un diffuseur, une étiquette de disques ou autres partenaires d’affaires), celui de revenir est avant tout personnel, tant pour l’annulé qui doit accepter de composer avec les multiples conséquences de ses actes, que pour le public qui choisit de pardonner ou non à l’artiste.
Pour revenir à la suite d’une annulation, il y a beaucoup de cheminement personnel à faire. Il faut être prêt à assumer l’hostilité et les critiques.
Cette dichotomie que les témoignages d’Adamus et du participant anonyme mettent en évidence balise ce qui différencie le « bon » du « mauvais » annulé, si vous me permettez l’expression un peu grossière.
Celui qui pleure sa place perdue de celui qui accepte la place qu’il lui reste. Le processus n’est pas un coup de baguette magique qui saurait transformer de mauvaises personnes en saints. Sans obtenir d’absolution pour leurs transgressions passées, certains semblent en tirer plus d’apprentissages que d’autres.
Une autre question que pose Le grand retour des annulés : est-ce qu’on assiste présentement à la fin d’un mouvement ou allons-nous continuer à annuler les célébrités et autres personnes en position de pouvoir ? Si oui, comment pourrait-on mieux le faire ?
À ce sujet, Marie-France Bazzo donne la parole à Coralie LaPerrière et Emna Achour du balado Les Farouches, l’influenceuse Eli San ainsi que Kim Boisvert, une victime d’agression sexuelle. Ensemble, ces quatre intervenantes forment le prisme à travers lequel on peut comprendre la dynamique et les enjeux du sujet. Elles apportent deux nuances cruciales à la discussion.
Le premier axe de l’annulation, c’est la dénonciation publique. LaPerrière et Achour décrivent la dénonciation comme un moyen de se protéger. Un rempart ultime pour les femmes qui s’assurent un minimum de sécurité face à des gens (souvent des hommes) en position de pouvoir par rapport à elles.
Le deuxième axe est commercial. C’est le retrait des commanditaires, des partenariats et autres opportunités de rentabiliser une personnalité publique. Ladite « annulation » est alors une décision d ’affaires prise par des entreprises qui souhaitent préserver leur réputation en se dissociant de visages compromis. Je sais pas pour vous, mais des entreprises qui tolèrent des comportements violents et prédateurs sous prétexte que c’est rentable, c’est pour moi la définition même d’un système corrompu.
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Si certains veulent que « le spectre de l’annulation » disparaisse une fois pour toutes, c’est aux diffuseurs et aux producteurs de tous acabits de revoir leur éthique.
Bazzo aborde aussi la question de l’annulation dite idéologique et à mon avis, c’est là que Le grand retour des annulés s’écarte un peu de son sujet. L’inclusion du professeur universitaire Martin Drapeau étire la définition d’« annulation » parce que, bien, il a toujours son emploi. Oui, il a subi énormément de pression et s’est peut-être senti très seul, mais sa position relève avant tout du conflit idéologique. Quand on tient des positions controversées, le stress de devoir les défendre vient habituellement avec.
Un autre exemple un peu plus clair est celui de Guillaume Lemay-Thivierge, mis au rancart par le monde artistique après avoir publié une blague raciste sur Instagram en 2024. Objectivement, les actions qu’on lui reproche sont beaucoup moins graves que celles reprochées à Bernard Adamus, mais est-ce que c’est l’animateur qu’on voulait annuler ou est-ce qu’on s’est servi de cette transgression extrêmement cavalière pour condamner un système qui facilite un racisme décomplexé ?
Après tout, Lemay-Thivierge s’est lui-même peint une cible dans le dos pendant la Covid avec ses dérives de « libre penseur », ses vidéos remettant en question l’efficacité de la vaccination et son petit numéro à la Kanye West aux Gémeaux. La blague raciste a agi à titre de conclusion logique d’une pente idéologique fatale et tout le milieu s’est écrié « c’est assez » en même temps. Ce type d’annulation peut sembler cruel et draconien, c’est aussi beaucoup plus simple à rectifier avec une prise de responsabilité, des excuses et une démarche sincère.
La réaction du principal intéressé semble d’ailleurs avoir fait durer son calvaire plus longtemps que nécessaire :
La conclusion qui s’impose après le visionnement, c’est que le climat est visiblement encore trop tendu pour en tirer des apprentissages, mais Le grand retour des annulés propose, à travers ses divers intervenants, un panorama de plusieurs cas de figure de la culture de l’annulation et met en lumières différentes questions qu’on devrait se poser. Le propos du documentaire est un peu mince, mais il donne la parole aux bonnes personnes.
Le grand retour des annulés est surtout intéressant pour l’opportunité qu’il offre d’ouvrir le discours.
La culture de l’annulation n’y est pas montrée comme un gros méchant monolithe culturel auquel font allusion les Sophie Durocher et Mathieu Bock-Côté de ce monde, mais plutôt comme une dynamique sociale qui s’est insérée dans les failles du capitalisme et du système de justice.
Parce que si #metoo nous a appris quelque chose, c’est que tout le monde a le potentiel de devenir un agresseur. La violence n’a pas de visage ou de circonstances précises et c’est notre responsabilité commune de gérer nos propres pulsions. L’argent et la loi ne suffisent plus à faire perdurer les comportements déviants et violents. On devrait tous être heureux de ça.
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